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L'écolo z'enfants

5 septembre 2021

Devoirs à la maison et dynamiques de pouvoir

Cette année, ma fille aînée a choisi de retenter l'aventure de l'école publique après 4 ans d'école alternative. Elle a fait sa rentrée jeudi, en CM1.

Ce week-end, c'est donc la première fois pour nous que nous avons à faire face aux fameux devoirs à la maison. Alors de base, je suis plutôt opposée aux devoirs. Je pense que 6-8h de travail est bien suffisant pour des enfants (qui plus est pour du travail non-rémunéré) et qu'il n'est ni nécessaire ni même utile d'en rajouter. Après, ma fille ayant pris du retard en français, et ne souhaitant pas la mettre en échec, je me suis dit pourquoi pas ?

Mais au fur et à mesure que je faisais faire ses devoirs à ma fille, j'ai senti que ce n'était pas seulement l'évolution de ses compétences qui se jouaient là, mais également son rapport à l'institution scolaire et le mien. J'ai senti que derrière l'injonction qu'elle revienne lundi en connaissant les 12 mots invariables listés sur son carnet, il y avait également l'attente tacite que je la contraigne, que je sois l'agent de l'institution. Et ça, ça se joue sur mon conditionnement de "bonne élève". C'est-à-dire que l'institution utilise mon désir de lui renvoyer une bonne image de moi-même (que je sois "conforme"), désir incorporé au contact de l'école et avec l'appui de mes parents, pour soutenir le développement de son emprise sur ma fille. Autrement dit, soit je fais en sorte qu'elle revienne effectivement lundi en connaissant ses 12 mots par coeur et dans ce cas je serai vue comme "une bonne maman" (une "bonne élève" ?), soit je décide de soutenir l'apprentissage de ma fille tout en respectant sa temporalité (peut-être qu'un week-end, c'est trop court pour elle pour cet apprentissage-là), auquel cas je resterai droite dans mes bottes mais je risque d'être mal vue. 

Mon choix est assez simple à faire en l'occurrence. Qu'elle soit retournée à l'école publique n'est pas mon choix mais le sien. Mon choix aurait été qu'elle reste dans une alternative bienveillante qui soit plus respectueuse de ses besoins et de son rythme propre. Je refuse donc d'être l'agent de l'institution, mais accepte volontier de l'accompagner dans ses apprentissages. Je pense que c'est la seule posture réellement adulte et juste.

Cependant, je n'avais pas réalisé avant que les devoirs pouvaient avoir cet effet pervers et cette fonction d'entretien de l'institution par la colonisation de l'espace familial. Je trouve ça intéressant de faire cette expérience d'autant qu'en parallèle j'expérimente la dynamique inverse : en école alternative, en tout cas dans l'expérience que j'en ai, la tendance serait plutôt à la colonisation de l'espace scolaire par les parents (les clients). A quoi ressemblerait une relation école-famille équilibrée ?

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30 août 2021

Bonne rentrée !

La rentrée arrive à grands pas.

Pas mal de choses vont bouger cette année, ce qui occasionne un gros travail de préparation. Heureusement, une fois n'est pas coutume, nous n'avons que très peu modifié les espaces. C'est surtout au niveau organisationnel et pédagogique que nous avons travaillé. En juillet, nous avons passé un week-end à réfléchir ensemble avec les membres de l'équipe afin de dresser un bilan de l'année et d'ouvrir des perspectives d'évolution pour 2021-2022.

Entre autres, nous avons cherché une manière de faciliter notre travail de préparation, d'accompagnement et d'évaluation pour les enfants qui souhaitent s'investir dans des projets académiques, tout en sachant que nous couvrons l'ensemble des classes depuis la PS jusqu'à la terminale (un vrai défi !). Nous avons décidé de tester cette année des outils extérieurs (pidapi et edumoov), et d'utiliser les ceintures de compétences. Nous avons également décider d'imposer l'utilisation du CNED pour les enfants qui souhaitaient passer des diplômes, ce afin de se libérer du temps de préparation pour en avoir davantage pour l'accompagnement.

Concernant les enfants qui ne répondent pas bien à l'approche scolaire classique et sont plutôt dans des projets informels, de gros progrès ont été réalisés au niveau du suivi en 2020-2021 grâce aux plans de travail inspirés de Freinet, mais il restait une zone très floue autours de l'évaluation des compétences qui nous a été reproché par les inspecteurs et certains parents. Là encore, nous allons tester un dispositif dont je parlerai dans un billet ultérieur. 

Sans oublier les enfants qui sont un peu perdus, voire en besoin de réparation, ceux qui ont du mal à se projeter ou qui ne souhaitent pas le faire... Là encore, nous avons réfléchi à une proposition spécifique pour eux, dont je parlerai quand j'aurai plus de recul.

Un autre gros enjeu de l'été a été le recrutement de deux personnes supplémentaires pour remplacer les départs. Nous allons donc commencer cette année avec une équipe toute neuve au sein de laquelle chacun va devoir trouver ses marques. 

Voilà pour les nouvelles de l'école !

Concernant mes études... Je vais participer à l'organisation d'un congrès "éducation et anthropocène" qui se tiendra mi-novembre. J'y ai également fait une proposition de communication, dont j'espère qu'elle aboutira à une réponse positive. Cela devrait m'occuper pas mal ces 2 prochains mois, puisqu'il va falloir reprendre mon mémoire de master pour en tirer l'équivalent d'un article (volume à définir).

Pour ma thèse elle-même, j'ai fait une proposition un peu particulière à mon directeur et j'attends son retour. Là encore j'en parlerai quand ça sera moins flou. 

Je vous souhaite une bonne rentrée à tous !!!

25 juin 2021

Point thèse juin 2021

Je profite de cette fin d'année pour faire un petit point sur mon parcours de thèse. 

1. Comment je me sens en cette fin de première année ?

Je me sens fatiguée mais plutôt épanouie. Je prends beaucoup de plaisir à travailler ma recherche. C'est même parfois compliqué d'avoir autant d'appétance parce que du coup j'ai souvent du mal à me cannaliser pour restée centrée sur ma question de recherche uniquement. Le champ de recherche que j'ai choisi a à peine été entrouvert en France, et de ce fait, tous les jours de nouvelles questions s'imposent à moi qui, chacune, pourrait donner lieu à une recherche à part entière. Il me faut donc faire preuve de volonté et de patience pour ne pas me disperser. A part ce détail, le travail de recherche en général me plaît beaucoup. Ca m'apporte de la joie et de ce fait je procrastine peu et j'arrive à avancer. 

Par contre, comme je le disais, je suis fatiguée. L'intensité du rythme de la thèse y est pour quelque chose, c'est certain, mais pour ma part c'est plutôt les à-côtés qui m'épuisent. Je suis maman de 3 petites filles que j'adore, dont une que je garde à plein temps (- de 3 ans), qui me demandent beaucoup de temps et d'énergie. J'ai accepté un temps partiel pour pouvoir contribuer financièrement aux besoins de ma famille. J'ai la chance que cet emploi me donne en même temps un accès à mon terrain de recherche, ce qui me permet de ne pas perdre trop de temps pour ma thèse, mais c'est un travail assez énergivore et chronophage malgré tout. De ce fait, j'avance, pour le moment, surtout au niveau terrain, et assez peu au niveau théorique puisqu'il me reste très peu de temps pour les lectures et l'écriture.

Bref, c'est plutôt l'accumulation de tout ça qui me fatigue, et je pense que ça devrait amener l'institution universitaire à remettre à plat le principe de thèse. Telle qu'elle est conçue aujourd'hui, cela s'adresse surtout à des étudiants jeunes en formation initiale. Il faut avoir une large disponibilité, ce qui n'est pas forcément évident pour les personnes comme moi qui reprennent leurs études sur le tard, avec déjà une famille, un emploi etc... Et c'est d'autant plus vrai lorsqu'on n'a pas de financement de thèse (très commun en SHS). Je comprends bien qu'étant le diplôme le plus élevé, la thèse doit se mériter. Mais je suis malgré tout convaincue qu'on devrait pouvoir accéder au grade de docteur sans avoir à mettre de côté toute vie familiale, sociale et professionelle. On parle quand même d'un marathon de 3 à 5 ans. Pour tenir aussi longtemps en restant équilibré mentalement, ces autres dimensions de la vie me semblent particulièrement importantes. 

2. Où j'en suis ?

Cette année, j'ai travaillé sur deux fronts : 

_ au niveau théorique, j'ai entamé la bibliographie, avec pour objectif principal de bien préciser ma problématique et les contours de mon terrain. Comme je l'expliquais au dessus, par manque de temps, il me reste encore beaucoup à lire, mais pour ce qui est de ma problématique j'ai bien avancé. J'avais posé, en début d'année, quelques questions de recherches, mais mon projet nécessitait vraiment d'être précisé. Et là, j'ai le sentiment de savoir un peu mieux où je vais. 

_ au niveau terrain, c'est vraiment là que j'ai le mieux avancé. J'ai énormément écrit sur mon expérience et mes observations, ce qui, d'ailleurs, a contribué à préciser ma problématique. Il y a encore beaucoup de travail, et là actuellement je suis en train de préparer mon dispositif de recueil de données. 

Par ailleurs, au niveau de l'écriture, j'avance tout doucement. N'ayant qu'à peine commencé à récolter des données de terrain, je ne suis pas encore en mesure de vraiment me lancer là-dedans, mais j'ai malgré tout commencé à écrire des petites choses, comme par exemple mon cheminement vers cet objet de recherche, cette problématique etc... Et puis j'écris un peu sur ce blog, cela me permet de poser quelques briques, tout en entretenant l'habitude de l'écriture. 

3. Comment s'annoncent les mois à venir ?

Mon travail des mois à venir va s'orienter sur 2 axes : 

_ le premier consiste à proposer une philosophie de l'éducation qu'on pourrait qualifier de "négative", dans le sens où elle ne se fonde pas sur "ce qu'il faudrait faire" pour éduquer les enfants, mais sur "ce que l'on pourrait/devrait s'abstenir de faire". Mon idée générale est qu'une posture interventionniste en éducation, en plus d'être potentiellement aliénante pour l'enfant, peut venir entraver le bon déroulement des processus d'apprentissage spontanés. Dit autrement, je pose l'hypothèse qu'éduquer activement (organiser, programmer, contrôler etc...) en réalité déséduque plus que cela n'éduque. De mon expérience de terrain en école démocratique, j'ai pu observer que les apprentissages se font, que les éducateurs soient proactifs ou non, ce qui pose la question de "qui" ou "quoi" éduque en réalité, et également de l'intérêt réel de dépenser autant d'énergie pour suppléer un processus qui est déjà pleinement efficace en lui-même. Cela consistera donc à croiser des éléments théoriques, philosophiques avec des éléments ethnographiques et praxiques.

_ le second se situe dans la continuité et consiste à reconnaître qu'un passage brutal du paradigme "éducation" à un paradigme "non-éducation" ne serait ni réaliste ni même souhaitable et à s'interroger sur la(les) transition(s) possible(s) de l'une à l'autre. En m'appuyant d'une part sur mes observations et la reconstitution historique de l'école dans laquelle j'interviens, et d'autre part sur les témoignages des personnes qui ont entamé cette transition dans un cadre scolaire, je voudrait tenter de décrire au plus près les différents processus à l'oeuvre, les résistances rencontrées, les ressources disponibles, les stratégies tentées et leurs résultats... Très concrètement, ici, mon travail des mois à venir va consister à préparer et mettre en oeuvre mon dispositif de recueil de données. 

4. Quoi d'autre ?

Une thèse, c'est une formation pour et par la recherche, certes, mais c'est aussi une formation qui vise, à terme, une insertion professionnelle. Selon l'orientation envisagée, et c'est d'autant plus le cas s'il s'agit d'une carrière académique, c'est dès le début de la thèse qu'il faut s'y prendre, même si une thèse dure longtemps. Cela signifie développer des collaborations scientifiques, dans ou hors du laboratoire auquel on est affilié, soumettre des articles ou des communications, organiser des événements scientifiques, participer à des expertises, donner des cours etc... Cette première année, j'ai surtout pris mes marques, essayé de comprendre comment fonctionne ce "monde étrange". Dès l'an prochain, il va falloir que je m'investisse davantage là-dedans. 

9 juin 2021

Egalité enfants-adultes en école démocratique

Il y a quelques temps, j'ai eu une discussion avec un membre adulte de mon école, membre qui n'avait pas vraiment choisi le projet d'éducation démocratique et qui visiblement avait un peu de mal à s'y intégrer. Dans cette discussion, celui-ci m'avait rapporté être très gêné par le principe d'égalité adulte-enfant que nous essayions d'incarner. Si j’essaye d'être le plus proche possible de ses mots, son problème, à ce moment-là était que nous visions l'égalité alors que lui aurait plutôt privilégié l’équité. En substance, son argument était que le fait d’être plus âgé et le fait d’avoir un statut différent (notamment des responsabilités différentes) rendait impossible de fait l’égalité, et justifiait la nécessité d’une conduite plus respectueuse des enfants envers lui et une influence plus importante.

Cette discussion m'a fait beaucoup réfléchir sur cette notion d'égalité. Effectivement, il serait facile de tomber dans la naïveté idéaliste de lire les écoles démocratiques comme des groupes 100% égalitaires, et même de croire qu'une égalité adulte-enfant soit réellement possible dans notre société telle qu'elle est structurée actuellement. Pourquoi ? Que cela soit à l'école ou hors école, adultes et enfants ne jouissent pas des mêmes statuts, et donc des mêmes responsabilités, droits et devoirs. Par exemple, à l'école, en tant que facilitatrice, je suis responsable de la sécurité des enfants qui me sont confiés. Certes on peut imaginer que dans une école démocratique, tous les enfants et tous les adultes soient co-responsables de la sécurité de tout le monde. C'est l'objectif, certes, mais ça reste un idéal hors-sol.

D'un point de vue pragmatique, nombreux sont les enfants qui arrivent dans nos écoles sans savoir vraiment porter leur propre liberté, et la responsabilité qui en découle. Certains arrivent même tellement abîmés par la vie qu'ils traversent des périodes où leur mal-être s'exprime par de la violence ou des mises en danger. De fait, il y a une phase de transition qui peut être plus ou moins longue selon l'enfant, avant que celui-ci soit réellement en mesure d'incarner cette co-responsabilité à laquelle nous aspirons, et pendant cette période, c'est à nous, adultes d'amener le cadre nécessaire à ce que cette transition se passe dans de bonnes conditions. Les membres mineurs, eux, n'ont pas cette responsabilité. De même, lorsqu'un souci est identifié par les autorités compétentes (rectorat), c'est toujours les adultes qui sont pointés du doigt. Factuellement, nous ne sommes donc pas égaux. 

Du point de vue de l'enfant il y a aussi une assymétrie palpable. Il y a quelques temps, ma fille aînée, qui avait 7 ans à l'époque, m'a annoncé qu'elle souhaitait commencer à travailler pour financer elle-même ses frais de scolarité. Quand je lui ai expliqué qu'à son âge c'était interdit elle a accueilli ça comme une grande injustice. J'ai eu beau lui expliquer que les lois étaient faites comme ça pour protéger les enfants des abus de certains adultes, ça n'a pas fait disparaître ce sentiment. De son point de vue il n'est pas acceptable que les abus de certains adultes soient régulés par la suppression des droits des enfants. Et c'est vrai qu'à bien y réfléchir, le concept-même de majorité peut paraître injuste et le choix de l'âge arbitraire. Pourquoi un jeune de 15 ans mature et compétent serait-il forcé à rester dépendant de ses parents juste parce qu'il n'a pas le bon âge ? [1] De la même manière, dans nos écoles, tout adulte a le pouvoir de mettre fin à son contrat si les conditions de travail ou de vie ne lui conviennent pas, tandis que les mineurs ne jouissent pas de la même liberté. Pour quitter l'école, il leur faut l'approbation de leurs parents, ce qui n'est pas forcément simple à obtenir. Et puis il y a le fait que nous soyons, pour la plupart, rémunérés et eux non...

De fait, il n'y a donc pas d'égalité possible entre les membres mineurs et les facilitateurs, quels que soient les efforts engagés pour ramener une certaine horizontalité dans le groupe-école. Mais là où, à mon sens, se situe le problème dans le discours de mon collègue, c'est que pour lui cette inégalité justifierait un traitement différent. Très concrètement, ce qu'il souhaitait à demi-mots, c'était avoir plus de pouvoir et d'autorité que les enfants. Là, on entre  dans un problème d'âgisme [2], c'est-à-dire que revendiquer davantage de droits sous le prétexte d'appartenir à une certaine classe d'âge est équivalent à estimer mériter plus de droit qu'une femme lorsqu'on est un homme ou plus de droit qu'une personne non blanche en étant blanc. En cela, notre société actuelle est extrêmement âgiste et cela nous empêche de voir ce problème en face.

Pour réellement savoir si une idée/action est âgiste ou non, une stratégie possible consiste à se poser la question : changerais-je d'idée, ou agirais-je autrement si la personne en face de moi était adulte ? Je vous renvoie aux excellentes illustrations de Fanny Vella qui sont particulièrement parlantes [3]. Dans le cas du désir de ma fille de travailler, par exemple, il aurait été âgiste (et terriblement condescendant) de lui répondre "Mais non, tu es trop petite" ou bien "Profite plutôt de ton enfance". Me serais-je permis de dire à une amie plus âgée "Mais non tu es trop vieille" ou bien "Tu devrais plutôt profiter de ta retraite" ? Non, qui suis-je pour interdire à une personne qui a envie de travailler de le faire ? C'est ce pourquoi je me suis contentée de la mettre face aux limites posées par la loi, ce qui nous a permis d'avoir une discussion très intéressante sur la manière dont est structuré le pouvoir en France, et à elle de développer son esprit critique et sa créativité.

Ce collègue est parti depuis, à raison je pense. Il n'était visiblement pas prêt à lâcher prise sur cette question-là et le vivait très mal [4]. Ce que j'ai appris de cet échange, c'est qu'il est très différent de souhaiter éduquer autrement, et d'être prêt à l'incarner au quotidien. Cela nécessite un gros travail sur soi pour transformer ses représentations, ses valeurs et dépasser certains réflexes et conditionnements. Et surtout cela nécessite du temps... 

 

[1] Pour aller plus loin : Bonnardel, Y. (2015). La domination adulte : L’oppression des mineurs. Myriadis.

[2] Reboulleau, E. (2019). Qu’est-ce que l’âgisme ? Myriadis.

[3] https://www.facebook.com/photo/?fbid=304959824328125&set=pb.100044423289740.-2207520000.. 

[4] Je dis ça sans aucun jugement de valeur, chacun en est où il en est et vise ce qui lui semble bon. Mais dans une perspective d'éducation démocratique, je pense que c'était trop tôt pour lui de se lancer dans cette expérience et qu'il n'était pas prêt à l'assumer pleinement.

26 mai 2021

Les enfants et l'inspection

Il y a quelques jours, nous avons été inspectés dans mon école (privée hors contrat), ce qui m'a donné l'occasion, pour la première fois, d'observer les effets d'un tel événement sur les différentes personnes engagées (facilitateurs, enfants et parents). Je me concentrerai sur les effets sur les enfants dans ce billet. 

Avec l'équipe, nous avons choisi de "préparer" cette inspection en coopération avec les enfants. "Préparer" ne signifie pas se préparer en vue de faire semblant, nous avons bien conscience que les inspecteurs ne seraient pas dupes, et que cela nous desservirait. "Préparer" se comprend dans le sens de choisir des activités qui en même temps aient du sens pour les enfants et en même temps permettent aux adultes de montrer le type de proposition que nous faisons dans notre quotidien. Habituellement, ce n'est pas aussi organisé puisque nous partons essentiellement du désir des enfants. Celui-ci pouvant être très fluctuant, cela s'organise en partie au jour le jour, au fur et à mesure qu'émergent les demandes. Mais là, en sachant que les inspecteurs ne seraient là que pour quelques heures, une demi journée tout au plus, nous avons souhaité un peu moins d'improvisation et un peu plus d'organisation. 

"Préparer" signifie également nous préparer mentalement (les enfants et nous). Il faut comprendre qu'une large majorité de notre effectif est constitué d'enfants ayant traversé des difficultés dans leur cursus scolaire et en gardent des traces psychologiques. Accueillir des inconnus, à qui on autorise qu'ils regardent dans les cahiers, posent des questions sur leurs parcours, voire testent leurs compétences, ce n'est pas anodin pour eux. Cela peut potentiellement raviver des peurs que nous avons souhaité prendre en charge en amont.

Il faut comprendre aussi qu'une école privée hors contrat a un statut très fragile. Une inspection ratée dans le public n'a de répercussion que sur l'enseignant. Une inspection ratée dans le privé hors contrat a des conséquences qui peuvent aller jusqu'à la fermeture de l'école. Cela signifie, du point de vue des enfants (et de leurs parents), la perte potentielle d'une solution alternative pour ceux qui ont des difficultés scolaires. Là encore ça n'est pas anodin. 

Nous avons donc informé les enfants environs une semaine avant la date prévue pendant un temps de rassemblement. C'est un moment quotidien où nous nous rassemblons tous ensemble dans un même espace pour nous échanger des informations, organiser des activités collectives, discuter des règles de l'école, etc... d'une manière très similaire au conseil de classe/d'école de la pédagogie Freinet. Les enfants nous ont posé beaucoup de questions, auxquelles nous avons tenté de répondre le plus honnêtement possible. Quelques exemples : c'est quoi un inspecteur ? A quoi ça sert ? Est-ce que c'est obligatoire ? Comment ça se passe ? Si ça ne se passe pas bien quelles sont les conséquences ? Est-ce qu'ils vont me parler ? Est-ce que je suis obligé de leur répondre ? etc... Suite à quoi, nous leur avons proposé de réfléchir au type d'activité qu'ils aimeraient faire ce jour-là. 

Dès l'après-midi de ce même jour, certains enfants m'ont confié être un peu stressés vis-à-vis de cette inspection, jusqu'à envisager de ne pas venir. J'ignore si ce sont les réponses que nous leur avons données qui ont généré ce stress (notamment parce que nous avons été transparentes sur les conséquences potentielles) ou s'ils ont simplement absorbé nos propres appréhensions. Toujours est-il que j'en ai informé mes collègues pour qu'elles puissent y revenir en fin de semaine, permettre aux angoisses de s'exprimer, les rassurer sur le fait que ce n'est pas eux qui seraient jugés mais nous, qu'il leur suffirait d'être eux-mêmes, et les encourager à ne pas nous mettre en difficulté par leur absence. 

Résultat le jour de l'inspection, tout le monde est venu (sauf quelques absents pour raison médicale), et ils ont vraiment été au top ! Ils ont largement dépassé nos attentes, sur leur comportement général, sur la manière dont ils ont investi les activités que nous avons proposées et sur la manière à la fois simple, humaine et honnête avec laquelle ils ont accueilli nos invités et ont répondu à toutes leurs questions. Personnellement, ça m'a vraiment donné foi en ce que nous faisons. Ca m'a confirmé que même si nous vivons parfois des moments difficiles, les enfants reconnaissent la valeur de ce que nous essayons de faire pour eux, qu'ils savent faire preuve de solidarité, entre eux et avec nous, pour essayer de faire perdurer notre école. Ca m'a montré que même si certains enfants nous arrivent un peu abîmés par la vie, ils savent trouver dans notre collectif et en eux-mêmes la force de dépasser leurs appréhensions.

Nous avons traversé ce moment stressant ensembles, et nous avons célébré cette réussite autours d'un bon gouter. Il ne reste qu'à espérer que cette positivité aura été (au moins un peu) contagieuse. 

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16 mai 2021

Être ou avoir

Bonjour à tous,

Aujourd'hui je voudrais vous partager une vidéo réalisée et publiée par Vincent de la chaîne Youtube La chaîne santé et qui parle de la différence vécue par les enfants et de la manière dont nous, les adultes, pouvons aider un enfant différent (quelle que soit la différence) à grandir sans que cette différence soit vécue comme une souffrance. Travaillant dans une école alternative fréquentée par une grosse proportion d'enfants différents, je trouve ce sujet particulièrement pertinent. C'est pourquoi je voulais partager cette vidéo avec vous. 

Pour ceux d'entre vous qui n'auraient pas le temps, ou qui auraient la flemme de regarder, je vous fais un petit résumé des 4 points qu'il aborde :

1. Toujours rappeler à votre enfant que l'aimez, que vous êtes son allié et que tous les choix que vous faites pour lui sont faits dans son intérêt.

2. Ne pas trop rappeler sa différence, ni à lui, ni à ceux qui l'entourent, pour ne pas le stigmatiser ni excuser exagérément ses comportements inadaptés.

3. Donner à l'enfant des repères sur le fonctionnement du monde pour lui éviter de souffrir inutilement.

4. Ne pas projeter ses désirs sur son enfant (celui-là, je tiens à le souligner, car je vois tous les jours dans ma pratique à l'école à quel point c'est délétère)

A ces 4 conseils, j'ai envie d'en ajouter un cinquième, qui me parait très important, et c'est l'objet de ce billet : veiller à utiliser le verbe "avoir" au lieu du verbe "être" lorsqu'on évoque la différence de son enfant (ou de soi-même). Dire "mon enfant est différent" et dire "mon enfant a une différence" ce n'est pas tout à fait la même chose. Lorsqu'on dit qu'il est différent, on dit en substance que la différence est ce qui le constitue, ce qui le définit. On induit l'idée que cette différence ne peut pas être dépassée puisqu'elle est constitutive de son être. Et on l'encourage à confirmer cette différence par son attitude. Lorsqu'on dit qu'il a une différence, on opère une séparation entre la personne qu'est l'enfant et la différence qu'il vit. La différence reste quelque chose qui est extérieure à l'enfant et sur laquelle on peut travailler.

Dans le langage courant on a tendance à utiliser le verbe être à toutes les sauces. "Je suis enseignante", "je suis gros", "je suis marié", "je suis surdouée"... Qu'arrive-t-il alors si je perds mon emploi ? Si je perds du poids ? Si mon mari me quitte ? Si j'échoue à un examen ? Il est assez fréquent que des personnes exposées à ce type d'événement se retrouvent en détresse psychologique et ce n'est pas uniquement parce que ça les mets dans une situation difficile. C'est aussi parce que l'identification à ces caractéristiques sont parfois tellement fortes que leur perte est vécu comme la perte d'une partie d'eux-mêmes. Alors que si l'enseignement, le surpoids, le mariage, la douance, ou toute autre caractéristique est vécu comme quelque chose que l'on a, ou quelque chose que l'on fait, et non comme ce que l'on est, alors le changement d'état n'entame pas l'image de soi. 

Par ailleurs, ces étiquettes auxquelles on s'identifie renvoient souvent en filigrane à un système de valeurs socialement construites. Dire "je suis enseignante" est plutôt valorisant tandis que dire "je suis gros" l'est nettement moins. Lorsqu'un parent présente son enfant à quelqu'un en lui disant "il est hyperactif" (par exemple), outre le fait de figer l'enfant dans son hyperactivité, cela l'expose au jugement et aux projections de l'interlocuteur. Et cela peut entacher l'estime qu'il a de lui-même puisque les différences dont nous parlons sont rarement perçues comme positives (ou bien tellement perçues comme positives qu'elles interdisent presque l'échec comme dans le cas de la douance). Alors qu'en parler en disant qu' "il a une hyperactivité" indique les particularités auxquelles lui et vous êtes confrontés au quotidien, sans entâcher son être du jugement qui va avec.

Et parce que vous méritez sûrement de vivre dans la bienveillance, je ne peux que vous encourager de faire cet effort aussi envers vous-mêmes. 

9 mai 2021

Nouvelle venue !

Bonjour à tous,

Nouvelle venue dans le monde du blogging, permettez-moi de me présenter. 

Je m'appelle Servane. J'ai 36 ans et je suis la maman de 3 petites filles de 9, 7 et 2 ans. Professionnellement je suis plutôt indéfinissable. J'ai exercé des métiers aussi divers que monitrice de patinage artistique, infographiste 3D ou plus récemment facilitatrice d'apprentissage... Késako ? Et bien justement ça sera l'objet de ce blog. 

En décembre 2016, dans le cadre de ma reprise d'études en sciences de l'éducation, j'ai effectué un stage dans une école alternative dans laquelle une grande partie des apprentissages se faisaient de façon autonome, dans laquelle les adultes ne se présentaient pas comme des "enseignants" mais comme des "facilitateurs d'apprentissage", dans laquelle les règles de vie se décidaient avec les enfants, dans laquelle les enfants avaient même le pouvoir de porter plainte contre les adultes... Cette expérience d'une école (presque) démocratique m'a littéralement retourné le cerveau. Je n'avais jamais imaginé qu'on puisse remettre en question de manière aussi radicale tous les principes qui fondent classiquement les écoles. 

Aujourd'hui, quelques années années après, me voici employée dans cette école. Parce que très peu d'études scientifiques ont été faites sur ces écoles en France, et que je pense qu'il y a beaucoup en dire, j'ai choisi ce sujet pour ma thèse de doctorat. Ce que je propose sur ce blog, c'est d'une part de suivre mon parcours de praticienne (en tant que facilitatrice débutante et maman d'enfants scolarisées dans cette école), et d'autre part de partager mes réflexions plus théoriques, mes lectures, et l'élaboration de ma recherche. 

Vos réactions sont bien évidemment les bienvenues en commentaire, que vous soyez vous-mêmes praticien dans une école démocratique/alternative, enseignant dans le public, chercheur, parents, enfants, ou simplement curieux. Parce que l'éducation des enfants peut être un sujet sensible, et que je ne souhaite pas générer de conflit, j'attends néanmoins de votre part que vous le fassiez en toute bienveillance. J'accueillerai volontier les débats mais souhaite qu'il se fasse sur un ton respectueux et sans jugement.

Au plaisir de vous retrouver sous peu !

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  • Actuellement en première année de doctorat, je partage ici mes réflexions sur l'éducation, sur ma pratique de facilitatrice en école alternative, sur la parentalité positive... en vue d'élaborer une théorie de la non-éducation.
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